Une arrivée impromptue

C'est par une belle et ensoleillée journée qu'une silhouette se profile à l'horizon. Un homme, vêtu d'atours verts de ton, s'avance vers l'entrée du château d'un pas guilleret. Affichant d'une oreille à l'autre un mielleux sourire, il s'arrête au pied du pont-levis et lance à l'attention des remparts, d'une voix chantante :

-Holà, factionnaires et diverses valetailles, daignerez-vous ouvrir les portes à Anselme-Calixte de Pissefroid, Grand Argentier de Carmélide septentrionale, qui a grande hâte d'aller présenter ses respects à la duchesse de Luserne ?

Exprimant un étonnement exagéré en haussant les sourcils jusqu'à une hauteur rarement atteignable par ces poils humains, Anselme s'exclame avec emphase :

-Une missive pour moi, vous dites ? Et de la part de la Duchesse elle-même ??? Ainsi l'illustre Duchesse, dans son immense mansuétude qui est l'une des innombrables qualités qui font sa réputation immortelle de par le monde, va jusqu'à s'abaisser à communiquer d'aussi épistolaires faveurs jusqu'aux plus obscurs de ses serviteurs les plus dévoués ? Mais donnez-la moi immédiatement, qu'attendez vous !

Le garde arqua un sourcil

**C'est qui se type encore ?**

Il se retint de hausser les épaules et alla prendre une missive dans le bureau qu'il donna à l'homme en vert

Citation :

Messire Pissefroid

Apres notre entrevue et votre lettre, j'ai le plaisir de vous confirmer dans vos fonctions d'intendant du Duché de Luserne.
Pour l'instant des affaires me retiennent au loin. Veuillez donc prendre votre poste, la gouvernante Myette est au courant de tout.
Nous affinerons tout cela quand mon époux et moi arriveront.
En espérant que tout ce passera sans heurt

Neottie de Chenot
Duchesse de Luserne
Vicomtesse de Thonon
Dame de Saint-Julien en Genevois

Lorsque le garde lui tend la lettre, Anselme met ses mains en coupe en dessous, comme s'il recueillait avec beaucoup de déférence un bien précieux. Une fois la lettre entre ses mains, il la décachette avec des précautions inouïes, la manipulant avec le plus grand soin. Puis, lorsqu'il commence à l'entrouvrir, il détourne le regard en plissant des yeux, comme on le fait lorsqu'on est aveuglé par le soleil.

Après avoir lu la missive, il la plaque contre son coeur, le regard embué et constellé de paillettes, la lèvre inférieure tremblotante, comme s'il réprimait des sanglots, son visage n'exprimant rien d'autre qu'une adoration liquide.

Puis en un instant il se rassérène et reprend son habituelle expression enjouée et suffisante, et s'adresse au garde :

-Servile Cerbère, indique donc à ton nouvel intendant où il pourra s'entretenir avec dame Myette, je te prie.